Depuis le printemps 2024, des femmes originaires d'Afrique de l'Ouest se sont réunies au sein du collectif Combat pour l'hébergement. Le but : obtenir un hébergement décent après des semaines passées à dormir dans les rues de Seine-Saint-Denis. Mais le collectif permet aussi à ces exilées de rompre la solitude et de s'entraider dans les moments difficiles. Reportage.
Lorsque Maïmouna passe la porte avec sa poussette, sa présence ne passe pas inaperçue. Cette mère de 34 ans, à la carrure imposante, respire la joie de vivre. L’Ivoirienne se faufile au fond de la salle et salue chaleureusement plusieurs femmes assises sur des chaises installées le long d’un mur.
"Elle, c’est ma sœur", lance Maïmouna en montrant du doigt Aïcha, elle aussi mère de famille. "Elle vient juste pour me voir, elle m’aime trop", répond en rigolant son amie. Quelques minutes plus tard, Maïmouna entrouvre le manteau d’une autre femme laissant apercevoir son ventre arrondi. Les mots de félicitations fusent pendant quelques minutes.
Ce vendredi de janvier, comme chaque semaine, plusieurs femmes originaires d’Afrique de l’Ouest se rassemblent à la Bourse du travail de Saint-Denis, en région parisienne. Réunies au sein du collectif Combat pour l’hébergement, elles sont ce jour-là une trentaine dans la salle mise à leur disposition.
"Porter une voix commune"
Le collectif a été créé au printemps 2024 par des migrantes, épaulées par deux sages-femmes de l’hôpital Delafontaine, à Saint-Denis, qui héberge régulièrement des exilées sans-papiers à l’accueil de la maternité. "Au moment de la fin de la trêve hivernale en avril dernier, ces femmes ont été remises à la rue, certaines avec des enfants. On s’est toutes retrouvées dans un jardin de la ville pour parler de leur inquiétude et de leur quotidien", explique Edith, une sage-femme qui a accouché plusieurs de ces exilées à l’hôpital. "En les écoutant, on s’est rendu compte qu’elles pouvaient porter une voix commune."
Lors de l’Assemblée générale (AG) du vendredi, Edith mène les discussions mais ce sont les femmes immigrées qui prennent les décisions. Les principales revendications du collectif portent sur le droit à un hébergement digne.
La plupart vit aujourd’hui dans des hôtels du 115 en Ile-de-France, mais toutes sont passées par la rue et leur situation reste très précaire. La majorité sont sans-papiers, d’autres en attente de régularisation.
Le collectif compte une centaine de familles : des femmes seules avec ou sans enfants, et parfois leur conjoint. "On vient du même pays [beaucoup sont originaires de Côte d’Ivoire, ndlr], on parle la même langue, on vit les mêmes galères. Donc on se comprend. On a l’impression d‘être de la même famille", affirme Aïcha.
Edith se charge d’assurer un suivi personnalisé de chaque personne. "Madame C. n’a pas de logement, elle dort à la rue depuis un petit moment", dit-elle en lisant sa liste mise à jour. Pour l’épauler, la sage-femme peut compter sur Médecins du Monde (MdM). L’ONG médicale apporte un soutien logistique et politique à l’organisation.
"Le collectif m’a apporté du sourire"
Depuis sa création, le collectif a été reçu à deux reprises par les équipes du maire de Saint-Denis. Et il a rendez-vous vendredi 24 janvier avec le conseil départemental de Seine-Saint-Denis ainsi que la Direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement (Drihl). Les femmes réclament un logement décent mais aussi que la municipalité leur fournisse une domiciliation, assurée pour l’instant par MdM. Avoir une adresse postale permet aux familles de recevoir leur courrier et de faire valoir leur droit - l’hébergement en hôtel étant souvent temporaire.
"Le collectif nous a beaucoup aidé, plusieurs personnes ont été logées. On espère qu’on gagnera d’autres combats", confie Aïcha, tout en berçant son bébé de quatre mois allongé dans la poussette.
L’hébergement en hôtel reste mieux que la rue mais les difficultés persistent : cafards, espaces étroits, toilettes insalubres, absence de cuisine, logement éloigné de l’école des enfants, isolement, manque de suivi social… sont les sujets qui reviennent inlassablement dans la bouche des exilées.
Dans ce contexte difficile, le collectif Combat pour l’hébergement a permis à certaines femmes de ne pas sombrer. Si au premier abord, Maïmouna semble joyeuse, la réalité est tout autre. "Lorsque je suis arrivée en France en juillet dernier, je pleurais tous les jours", chuchote-t-elle pour ne pas perturber la réunion qui a commencé avec une heure de retard. "Je dormais dehors avec ma fille d’à peine deux ans et j’avais très peur pour nous."
C’est finalement grâce à l’aide d’un passant que l’Ivoirienne contacte le 115 et obtient une place dans un hôtel avec sa fille. Mais la solitude perdure. Seule dans sa chambre, elle ne parvient pas à manger à sa faim et broie du noir. "Moi je ne pouvais me nourrir qu’une seule fois par jour mais je ne voulais pas imposer cela à mon enfant. Quand je la regardais, je fondais en larmes."
Maïmouna se rend régulièrement dans les locaux de l’association l’Amicale du nid qui organise des distributions alimentaires. Là-bas, des humanitaires lui parlent du collectif. "Ça a changé ma vie. Maintenant, j’ai du soutien et des amis. Je ne suis plus seule. On cause, on voit les copines, on s’entraide", dit-elle. "Quand tu sors, tu vois du monde, tu oublies un peu ce que tu vis. Le collectif m’a apporté du sourire."
La sororité qui émane de cette organisation est bien réelle. Lors de l’AG, les enfants passent de bras en bras, les femmes prennent des nouvelles les unes des autres et échangent des conseils. Avec un objectif commun résumé par Maïmouna : "Sortir de la galère et éviter que d’autres filles vivent la même chose que nous".