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« Si on renonce à l’accord de 1968, l’Algérie perd la poule aux œufs d’or », affirme l’ancien ambassadeur de France en Algérie Xavier Driencourt

ENTRETIEN. Samedi 5 octobre, dans un entretien donné à la télévision algérienne, Abdelmadjid Tebboune a accusé la France d’avoir perpétré un génocide pendant la colonisation. Il a également soutenu que l’accord de 1968 est une « coquille vide ». Xavier Driencourt, ambassadeur de France en Algérie de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020, réagit aux propos du président algérien.

Valeurs actuelles. Le 5 octobre, lors d’un entretien télévisé, le président algérien a minimisé l’importance de l’accord franco-algérien de 1968. Pouvez-vous rappeler quel est cet accord et pour quelles raisons est-il toujours capital contrairement à ce que prétend Abdelmadjid Tebboune ?

Xavier Driencourt. Comme l’a bien dit le président Tebboune, l’accord de 1968 revenait sur les accords d’Évian de 1962. Ces derniers prévoyaient la libre circulation des personnes entre la France et l’Algérie car à l’époque, on pensait que les pieds-noirs allaient rester en Algérie. Dans les accords d’Évian, il était prévu qu’ils pouvaient opter pour la nationalité algérienne et pour faciliter leurs déplacements entre la France et l’Algérie, la libre circulation était prévue. Cependant, en juillet 1962, les pieds-noirs ont été contraints de quitter l’Algérie et de rejoindre la France. Dès lors, la libre circulation profitait uniquement aux Algériens. Donc en 1968, un nouvel accord a été négocié avec l’Algérie. Cet accord, du 27 décembre 1968, ne rétablit pas la libre circulation prévue à Evian mais donne aux Algériens un certain nombre d’avantages dont ils sont les seuls à bénéficier.

À commencer par un titre de séjour de dix ans qu’on appelle un certificat de résidence algérien (CRA). Ce titre de séjour ne peut pas être retiré, sauf par un juge. L’accord assouplit les conditions pour le regroupement familial, qui est possible au bout d’un an pour les Algériens, quand les autres étrangers doivent attendre dix-huit mois. Des avantages également pour les étudiants qui peuvent obtenir un visa de commerçants. Et surtout, un avantage lié à notre hiérarchie des normes. La Constitution est le texte suprême ; ensuite viennent les traités internationaux et enfin les lois. Les traités internationaux ont donc une valeur supérieure aux lois, ce qui signifie que le juge administratif n’applique pas la loi française quand il s’agit des Algériens car ils ne sont pas soumis aux lois françaises en matière d’immigration, mais dépendent uniquement, exclusivement, de l’accord de 1968. Abdelmadjid Tebboune fait comme si ces avantages n’existaient pas. En réalité, il en a pleinement conscience. Il sait aussi que si la France renonce à cet accord, l’Algérie perd la « poule aux œufs d’or »

Si cet accord constitue la poule aux œufs d’or pour l’Algérie, comment expliquez vous les déclarations du président Tebboune qui, au contraire, l’a qualifié de « coquille vide », affirmant qu’il « n’y a plus rien dans cet accord » et qu’il représente aujourd’hui « un étendard derrière lequel marchent les extrémistes qui veulent salir l’Algérie » ?

Les autorités algériennes connaissent très bien cet accord et ses avantages. En revanche, en France, il était encore largement méconnu il y a peu. Lorsque j’ai publié une note, en mai 2023, pour la Fondapol, en préconisant sa dénonciation, toute la classe politique a semblé découvrir cet accord, ou a fait semblant de le découvrir. Depuis un an, une grande partie de cette classe politique demande son abrogation car beaucoup de Français ont découvert que les lois françaises sur l’immigration ne s’appliquent pas aux Algériens qui, en effet, ne dépendent que de l’accord de 1968. Les déclarations du président Tebboune montrent que cette note a mis le doigt là ou ça fait mal.

Ces déclarations répondent aussi à un objectif de politique intérieure. Il veut renvoyer aux Algériens l’image d’un Président qui défend l’Algérie face à l’ancien colonisateur. Il se place en position de leader nationaliste pour tenter de gagner en légitimité, juste après avoir été réélu, le 8 septembre, dans le cadre d’une élection où il a obtenu 95 % des voix.

Vous appelez à dénoncer cet accord pour que les Algériens relèvent du droit commun ?

Exactement. Qu’ils soient soumis aux mêmes règles que les autres. Certains expliquent, ce fut le cas de Gérald Darmanin, que si nous supprimons l’accord de 1968, les accords d’Évian redeviendront la référence et la liberté de circulation s’appliquera à nouveau. Ce qui est faux, car en droit international, l’accord de 1968 est considéré comme ayant annulé l’accord d’Évian sur la disposition de la libre circulation. Un accord abrogé est abrogé. Juridiquement, les Algériens relèveront du droit commun, à savoir le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), qui s’applique aux autres nationalités.

Le gouvernement algérien de l’époque avait autorisé les essais nucléaires dans le cadre des accords d’Évian. Tebboune se garde bien de rappeler ce point aujourd’hui.

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« Si on renonce à l’accord de 1968, l’Algérie perd la poule aux œufs d’or », affirme l’ancien ambassadeur de France en Algérie Xavier Driencourt

ENTRETIEN. Samedi 5 octobre, dans un entretien donné à la télévision algérienne, Abdelmadjid Tebboune a accusé la France d’avoir perpétré un génocide pendant la colonisation. Il a également soutenu que l’accord de 1968 est une « coquille vide ». Xavier Driencourt, ambassadeur de France en Algérie de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020, réagit aux propos du président algérien.

Par Eddy Royer

Publié le 8 octobre 2024 à 13h00

Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune, le 14 juin 2014, au sommet du G7 à Borgo Egnazia en Italie © Tiziana FABI / AFP

Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune, le 14 juin 2014, au sommet du G7 à Borgo Egnazia en Italie © Tiziana FABI / AFP

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Valeurs actuelles. Le 5 octobre, lors d’un entretien télévisé, le président algérien a minimisé l’importance de l’accord franco-algérien de 1968. Pouvez-vous rappeler quel est cet accord et pour quelles raisons est-il toujours capital contrairement à ce que prétend Abdelmadjid Tebboune ?

Xavier Driencourt. Comme l’a bien dit le président Tebboune, l’accord de 1968 revenait sur les accords d’Évian de 1962. Ces derniers prévoyaient la libre circulation des personnes entre la France et l’Algérie car à l’époque, on pensait que les pieds-noirs allaient rester en Algérie. Dans les accords d’Évian, il était prévu qu’ils pouvaient opter pour la nationalité algérienne et pour faciliter leurs déplacements entre la France et l’Algérie, la libre circulation était prévue. Cependant, en juillet 1962, les pieds-noirs ont été contraints de quitter l’Algérie et de rejoindre la France. Dès lors, la libre circulation profitait uniquement aux Algériens. Donc en 1968, un nouvel accord a été négocié avec l’Algérie. Cet accord, du 27 décembre 1968, ne rétablit pas la libre circulation prévue à Evian mais donne aux Algériens un certain nombre d’avantages dont ils sont les seuls à bénéficier.

 

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« Emmanuel Macron n’a aucune colonne vertébrale sur la question de la mémoire de la guerre d’Algérie », juge l’historien Jean Sévillia

À commencer par un titre de séjour de dix ans qu’on appelle un certificat de résidence algérien (CRA). Ce titre de séjour ne peut pas être retiré, sauf par un juge. L’accord assouplit les conditions pour le regroupement familial, qui est possible au bout d’un an pour les Algériens, quand les autres étrangers doivent attendre dix-huit mois. Des avantages également pour les étudiants qui peuvent obtenir un visa de commerçants. Et surtout, un avantage lié à notre hiérarchie des normes. La Constitution est le texte suprême ; ensuite viennent les traités internationaux et enfin les lois. Les traités internationaux ont donc une valeur supérieure aux lois, ce qui signifie que le juge administratif n’applique pas la loi française quand il s’agit des Algériens car ils ne sont pas soumis aux lois françaises en matière d’immigration, mais dépendent uniquement, exclusivement, de l’accord de 1968. Abdelmadjid Tebboune fait comme si ces avantages n’existaient pas. En réalité, il en a pleinement conscience. Il sait aussi que si la France renonce à cet accord, l’Algérie perd la « poule aux œufs d’or » .

 

Les déclarations du président Tebboune montrent que cette note a mis le doigt là ou ça fait mal.

Si cet accord constitue la poule aux œufs d’or pour l’Algérie, comment expliquez vous les déclarations du président Tebboune qui, au contraire, l’a qualifié de « coquille vide », affirmant qu’il « n’y a plus rien dans cet accord » et qu’il représente aujourd’hui « un étendard derrière lequel marchent les extrémistes qui veulent salir l’Algérie » ?

Les autorités algériennes connaissent très bien cet accord et ses avantages. En revanche, en France, il était encore largement méconnu il y a peu. Lorsque j’ai publié une note, en mai 2023, pour la Fondapol, en préconisant sa dénonciation, toute la classe politique a semblé découvrir cet accord, ou a fait semblant de le découvrir. Depuis un an, une grande partie de cette classe politique demande son abrogation car beaucoup de Français ont découvert que les lois françaises sur l’immigration ne s’appliquent pas aux Algériens qui, en effet, ne dépendent que de l’accord de 1968. Les déclarations du président Tebboune montrent que cette note a mis le doigt là ou ça fait mal.

Ces déclarations répondent aussi à un objectif de politique intérieure. Il veut renvoyer aux Algériens l’image d’un Président qui défend l’Algérie face à l’ancien colonisateur. Il se place en position de leader nationaliste pour tenter de gagner en légitimité, juste après avoir été réélu, le 8 septembre, dans le cadre d’une élection où il a obtenu 95 % des voix.

Vous appelez à dénoncer cet accord pour que les Algériens relèvent du droit commun ?

Exactement. Qu’ils soient soumis aux mêmes règles que les autres. Certains expliquent, ce fut le cas de Gérald Darmanin, que si nous supprimons l’accord de 1968, les accords d’Évian redeviendront la référence et la liberté de circulation s’appliquera à nouveau. Ce qui est faux, car en droit international, l’accord de 1968 est considéré comme ayant annulé l’accord d’Évian sur la disposition de la libre circulation. Un accord abrogé est abrogé. Juridiquement, les Algériens relèveront du droit commun, à savoir le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), qui s’applique aux autres nationalités.

Le gouvernement algérien de l’époque avait autorisé les essais nucléaires dans le cadre des accords d’Évian. Tebboune se garde bien de rappeler ce point aujourd’hui.

Tebboune a aussi accusé la France d’avoir commis un « génocide » pendant la colonisation. Qu’en pensez-vous ?

Le Président algérien se sent obligé d’en rajouter pour alimenter la confrontation avec la France. Ce type de déclarations lui permet de parler d’autres choses, de détourner l’attention des problèmes actuels. Il essaie de remettre au centre cette accusation de génocide en déclarant que la France a voulu mener « un grand remplacement » en Algérie. Il a de même reproché à la France les essais nucléaires effectués en Algérie dans les années 1960 dans le Sahara.

«Vous voulez qu’on soit amis, venez nettoyer les sites des essais nucléaires », a-t-il lancé. Cette revendication est nouvelle côté algérien. Jamais un président algérien n’avait soulevé cette question. C’est oublier que le gouvernement algérien de l’époque, le GPRA, avait autorisé ces essais dans le cadre des accords d’Évian. Aujourd’hui, il se garde bien de rappeler ce point. Dans cet entretien télévisé, le président algérien a sorti la batterie des accusations que l’Algérie a en stock contre la France : la négation de l’importance de l’accord de 1968, la dénonciation d’une « minorité haineuse » qui bloque les avancées sur le sujet mémoriel et qui veut salir l’Algérie, les accusations de génocide et maintenant les essais nucléaires.

Comment voyez vous évoluer les relations entre la France et l’Algérie ?

Depuis un certain temps les relations entre nos deux pays se sont dégradées. Encore plus depuis juillet, lorsque la France a soutenu le plan d’autonomie marocain sur le Sahara occidental. Alger a réagi en rappelant son ambassadeur, qui a été, depuis, nommé au Portugal. Il n’y a plus d’ambassadeur algérien à Paris et il n’y en aura pas de sitôt j’imagine. La visite d’État que le président français doit effectuer à la fin du mois au Maroc sera également scrutée de près par Alger.

La situation dans laquelle nous nous trouvons, ce gel des relations entre nos deux pays, c’est d’une certaine façon le résultat de l’échec de la politique française vis-à-vis de l’Algérie. La France fait le premier pas, donne des gages sans rien obtenir en retour. Lorsque Tebboune a été réélu, l’Élysée a adressé au président algérien un message de félicitations étonnant par le biais d’un communiqué qui évoquait une « relation exceptionnelle » et des « liens d’amitié qui unissent la France et l’Algérie » avant même la proclamation des résultats officiels. Après les propos du président Tebboune très violents à l’endroit de la France, la stratégie de l’Algérie est de nouveau d’attendre un signe du Président français. Nous devons arrêter. Les dirigeants algériens ne comprennent que le rapport de force, que la réciprocité. Malheureusement, nos dirigeants ne l’ont toujours pas compris.

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