Ce jour d’août, Aynalem se rendait à l’université en Amhara, région du nord de l’Éthiopie. Soudain, des hommes en armes ont arrêté le bus et sont montés à bord…
Ils étaient tous très jeunes et nous ont menacés avec des fusils d’assaut, j’étais terrorisée », raconte l’étudiante de 21 ans, en troisième année d’ingénierie biomédicale. Elle n’en verra pas plus : les ravisseurs ont ensuite bandé les yeux des passagers. Après plusieurs heures de route, ils ont forcé Aynalem à appeler sa famille pour réclamer une rançon. Montant demandé : 500 000birrs (environ 4 000 euros), une somme considérable dans un pays où 34,6 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale.
A alors commencé une éprouvante attente, dans une forêt. « Des choses horribles sont arrivées. Nous dormions à même le sol, nous ne mangions que du pain et j’ai été agressée sexuellement », se souvient la jeune femme, en sanglots.
Après plusieurs jours, sa famille est parvenue à rassembler l’argent (« en nous endettant beaucoup et en empruntant à plusieurs personnes », souligne sa mère, femme au foyer célibataire) et elle a été libérée.
« Criminels impunis »
Tous n’ont pas eu la même chance. « Plusieurs personnes dont les familles ne pouvaient pas payer la rançon ont été tuées. Je les entendais supplier nos ravisseurs », relate Aynalem.
De nombreuses régions d’Éthiopie sont touchées par de tels enlèvements contre rançons. Selon les observateurs, le phénomène a pris de l’ampleur depuis fin 2022.
L’Amhara et l’Oromia, les deux régions les plus peuplées du pays en proie à des rébellions armées, sont l’épicentre de cette « épidémie » d’enlèvements, estime Mebrihi Brhane, de l’ONG Human Rights Ethiopia First. Aujourd’hui, « la capitale est le seul endroit sûr du pays », résume-t-il.
La Commission éthiopienne des droits humains (EHRC), institution publique administrativement indépendante, a alerté début septembre sur « l’aggravation » de ces enlèvements menés par « des bandes organisées », mais aussi « certains membres des forces de sécurité gouvernementales ». Pour Mebrihi Brhane, groupes armés et bandits profitent du « vide sécuritaire » qui existe en de nombreux points du pays.
Dans des régions où se mêlent pauvreté et insécurité, « les enlèvements sont un moyen de gagner de l’argent pour des jeunes sans emploi », explique-t-il. Et « tant que le gouvernement ne contrôlera pas certains territoires, les criminels resteront impunis » et seront encouragés à continuer. Le cas le plus spectaculaire a été l’enlèvement en juillet de plus de 160 étudiants de l’université amhara de Debark, alors qu’ils se rendaient à bord de plusieurs bus dans la capitale Addis Abeba à travers l’Oromia. L’EHRC et les autorités accusent l’Armée de libération oromo (OLA), rébellion qui combat depuis 2018 les forces fédérales, d’avoir mené l’attaque. Certaines familles sont toujours sans nouvelle de leurs proches enlevés.
Kidist a reçu un appel des ravisseurs trois jours après le rapt, lui réclamant 700 000 birrs (environ 5 400 euros) en échange de la libération de sa sœur. « Mais nous sommes trop pauvres pour payer », explique le jeune homme, dont les parents sont paysans. Depuis, plus rien : « Je n’ai reçu aucune preuve que ma sœur soit toujours en vie. Cela nous rend, moi et ma famille, anxieux et désespérés. »
Au Tigré (nord), région ravagée par une guerre sanglante entre 2020 et 2022, la famille de Mahlet Teklay a attendu durant des mois des nouvelles de l’adolescente de 16 ans, enlevée en mars sur le chemin de l’école à Adwa. Ses ravisseurs exigeaient trois millions de birrs (24 300 euros), sans jamais donner une preuve de vie.
En juin, trois jeunes hommes ont finalement été arrêtés grâce à la géolocalisation du téléphone de Mahlet. « Ils ont immédiatement conduit la police à l’endroit où ils avaient tué et enterré ma sœur », déclare sa sœur Millen, la voix tremblante. « Ils l’ont étranglée le jour même de l’enlèvement avec ses propres lacets de chaussures. » Ses proches se battent désormais pour que justice soit rendue.
« Ma famille fait pression pour que les suspects soient jugés au niveau régional à Mekele (la capitale du Tigré), plutôt qu’à Adwa où nous pensons que les suspects ont des amis et des soutiens au sein des forces de l’ordre », explique Millen.